Posted in Ses petites histoires - anecdotes du 16ème au 20ème siècle Sybirol

Le Fer à Cheval : Des tas de questions, des hypothèses en réponse !

Le Fer à Cheval : Des tas de questions, des hypothèses en réponse ! Posted on 6 juin 2019

Raconter les histoires de Sybirol, c’est lui rendre son âme. Certaines appartiennent à la grande histoire, d’autres à la petite. Certaines sont documentées, d’autres appartiennent à la mémoire familiale. Évidemment Sybirol, s’il a une âme, n’a pas encore de voix, il fallait donc lui en prêter une. Et c’est pour cela que vous trouverez un « je » dans certaines de ces histoires. « Je », c’est Pierre, la dernière personne qui, après au moins 600 ans d’occupation, aura l’occasion de vivre Sybirol de sa naissance à sa mort (du moins il le souhaite !). Nous espérons que ces histoires vont vous distraire, vous intéresser, vous toucher. Sybirol se nourrit de l’affection que lui portent tous les visiteurs qui le découvre.

S’il fallait faire un jour un jeu de rôle à Sybirol, type Cluedo, il faudrait nécessairement que le meurtre ait lieu dans le fer à cheval, tellement ce lieu reste une énigme, une liste de questions dont la plupart des réponses ne sont que des hypothèses. Donc, n’attendez pas que je fasse court et concis : c’est compliqué !

L’organisation du site est déjà à elle seule un peu mystérieuse : Un bassin que vous repérez de loin, qui vous attire depuis la maison : tout semble clair et net ; un bassin, au moins, vous savez ce que c’est ! Il est au bord d’un dénivelé qui dessine une terrasse et dégage une nouvelle vue sur Bordeaux. Vous arrivez au bord du bassin, vous penchez sur la balustrade et apparaît l’escalier, vous pouvez descendre ; vous vous y aventurez et vous voilà sous terre dans un salle voutée en cul de four, éclairée par une grande baie percée dans le mur du fond, toute fraîche et humide et au centre encore un bassin peu profond. Vous remontez, vous approchez du bord de la terrasse pour observer le mur de soutien : 4-5 m de haut, il se poursuit de chaque côté et se perd dans la végétation. Peut-être un reste du château de Feuillas puisqu’il rejoint le chemin de tirecul et ses tours.

Ensuite, quand a-t-il été construit ? Par qui ? Là quelques indices vont nous ramener à Jean-Baptiste Lamolère, peu de temps avant la révolution : D’abord le style néo-classique du bassin, clairement de cette période. Difficile d’envisager la même construction au 19ème avec Fischer. Ensuite la trace de l’intervention à Sybirol d’un architecte de l’époque, Jean-Baptiste Duffart qui est a travaillé au château de Feuillas entre 1784 et 1787. Il a été formé dans le cabinet de Victor Louis (lui-même constructeur de l’hôtel particulier des Lamolère dans Bordeaux). Peut-être a -t- il contribué à moderniser la chartreuse.  En plus il est spécialiste des systèmes hydrauliques. En tout cas, il a commandé des balustres à un tailleur de pierre, nous avons la trace de la commande. Or il n’y a pas de balustres à la chartreuse, mais il y en a au fer à cheval. Enfin une réponse un peu étayée, élémentaire Docteur Watson !

Surtout question essentielle : Quelle est sa fonction, ? Autrement dit comment le nommer ? Vous avez remarqué : je l’ai appelé : le « Fer à cheval » : appellation objective puisque cela vient de sa forme : le bassin supérieur à la forme d’un fer à cheval. Autre motif qui rend cette appellation incontestable : c’est son petit nom intime, son surnom, la manière dont la famille a toujours désigné ce bassin, et cela, personne ne peut le remettre en question.

Si je dois le nommer d’après sa fonction et pour tenir compte de toutes les hypothèses qui ont été formulés par des spécialistes de toute sorte, il faudrait que je l’appelle : « le bassin-citerne-rafraîchissoir-bains-lavoir ». Pas moins de 5 fonctions ont été évoquées pour cette fabrique.

2 fonctions sont certaines :
– le bassin : la fonction décorative du bassin supérieur est évidente : il attire l’œil depuis la maison, déclenche une envie de se promener et anime le parc.
– le lavoir : 2 pierres inclinées au bord du bassin souterrain, c’est un lavoir, d’autant plus qu’un parcellaire du 19ème nomme la terrasse de culture juste en dessous « la pièce du lavoir ». De là à imaginer un système si sophistiqué pour un simple lavoir : il s’agit sans doute d’une transformation utilitaire du 19ème.
Après les autres fonctions plus hypothétiques :
– les bains : un des architectes en charge de la restauration voit dans le bassin souterrain une similitude avec les bains rituels qu’autrefois certaines familles juives installaient dans leurs maisons. Mais aucune trace d’une famille juive propriétaire de Sybirol à aucune période !
– la citerne : la fonction de la salle souterraine serait une simple citerne, plus ancienne que le bassin supérieur. L’appareillage un peu grossier des voutes en cul de four pourrait le justifier. Mais alors, pourquoi une grande baie ouverte dans le mur, pourquoi un bassin central si peu profond ? Une citerne ancienne du château de Feuillas et modifiée au 18ème pour la chartreuse de Sybirol ? Pourquoi pas.
– le rafraîchissoir : je ne vous cacherais pas que c’est la fonction qui me séduit le plus. L’été, quand il fait 35° dehors, cette pièce souterraine reste toujours fraîche, 15-20° maximum. Ce n’est pas une glacière, comme il en existe dans de nombreux châteaux et destinée à conserver les aliments ; la glacière de Sybirol est petite, accolée à la façade Nord de la maison, contre la cuisine. Mais un rafraîchissoir comme il en existe quelques-uns dans la région : rappelez-vous : le bassin du dessous est peu profond, 30 cm. Vous l’équipez d’un plancher à claire-voie par-dessus, et d’un seul coup, vous avez une pièce de 40 m2 pour venir vous réfugier pendant les grosses chaleurs et prendre tranquillement un chocolat ou un café, boissons à la mode à la fin du 18ème. Le comble du raffinement, la climatisation avant l’heure ! Et écologique avec cela !

Enfin aussi, comment ça marche ? : L’eau du bassin supérieur, coule dans le bassin inférieur par des rigoles le long de l’escalier et part ensuite dans les terrasses inférieures du coteau qui autrefois étaient cultivées : Pas de problème, on ne gaspille pas l’eau et c’est un système d’arrosage. Mais d’où vient l’eau ? Le côteau sud de la colline est sec. Le puits devant la maison a été creusé à 42 m de profondeur pour trouver un peu d’eau et au 18ème, pas de pompes pour remonter l’eau. La réponse la plus plausible : nous sommes en contrebas de la maison, grande surface de toiture d’où il est facile de récupérer l’eau et de la conduire jusqu’au bassins. Récupération de l’eau de pluie : le 18ème était décidemment bien écologique déjà. A moins qu’il y ait eu autrefois des sources perchées, souvent mentionnées par le passé. Elles seraient maintenant asséchées compte tenu de l’urbanisation du plateau, comme cela a été observé ailleurs. Encore un choix à faire.

Bon, nous voilà au terme de notre de notre enquête ! C’était long, êtes-vous encore avec moi ? Vous vous êtes fait une idée sur qui est le meurtrier ? Le Colonel Moutarde avec le chandelier, ou Madame Pervenche avec la corde ? En tous les cas, cela a eu lieu dans le Fer à Cheval !