Posted in Ses petites histoires - anecdotes du 16ème au 20ème siècle Sybirol

La chartreuse de Sybirol : un modèle de maison de villégiature

La chartreuse de Sybirol : un modèle de maison de villégiature Posted on 6 juin 2019

Raconter les histoires de Sybirol, c’est lui rendre son âme. Certaines appartiennent à la grande histoire, d’autres à la petite. Certaines sont documentées, d’autres appartiennent à la mémoire familiale. Évidemment Sybirol, s’il a une âme, n’a pas encore de voix, il fallait donc lui en prêter une. Et c’est pour cela que vous trouverez un « je » dans certaines de ces histoires. « Je », c’est Pierre, la dernière personne qui, après au moins 600 ans d’occupation, aura l’occasion de vivre Sybirol de sa naissance à sa mort (du moins il le souhaite !). Nous espérons que ces histoires vont vous distraire, vous intéresser, vous toucher. Sybirol se nourrit de l’affection que lui portent tous les visiteurs qui le découvre.

A Venise on les nomme « Villas », à Rome « Vignes » à Madrid « Quintas », à Marseille « Bastides », à Saint Malo, « Malouinières », enfin à Bordeaux, on dira « Chartreuses », avec l’air entendu des gens qui savent. Surtout pas dire que c’est un château, ce serait du mauvais goût. D’où vient le nom, je n’en sais rien. En tous les cas, rien à voir avec les moines Chartreux.

Toutes ces maisons ont un point commun : ce sont des maisons de villégiature, cet art de vivre que le 18ème a poussé à son summum. « L’important n’est pas d’y paraître mais de profiter du territoire et de la vue ». On n’y vit pas en permanence, la chartreuse reste une résidence pour les beaux jours, à proximité immédiate de Bordeaux, ville dans laquelle on possède une belle adresse, un hôtel particulier. C’est aussi une propriété agricole : on y produit, du vin évidemment, la région oblige, mais aussi tout ce qu’une ferme de l’époque peut produire. La production de cette ferme alimente en produits frais toute la maisonnée du bourgeois qui la possède. Posséder sa chartreuse, c’est évidemment afficher un signe de richesse et de réussite sociale, mais c’est aussi un moyen de quitter les obligations de représentation en ville, de rechercher du repos et des occupations champêtres. L’agrément et le divertissement sont de mise : la chasse, les promenades, les jeux de plein air, les fêtes et les cérémonies familiales.

On estime à 700 le nombre de ces chartreuses construites sur le territoire de la métropole bordelaise entre le 18ème et le 19ème. Qu’a donc Sybirol de spécifique par rapport aux autres ?

D’abord, évidence :  elle existe encore dans son intégrité, maison + dépendances + parc. Beaucoup de ces maisons ont disparues ou ont été démembrées, défigurées, happées par le développement de la ville.

Ensuite, le site est exceptionnel : en haut du coteau de Floirac, face à Bordeaux, la maison est posée comme un balcon sur la ville. Les architectes ont su tirer parti de la topographie : entrée dans l’axe de la maison, l’allée monte en pente douce jusqu’au point haut où ils ont positionné le portail d’entrée donnant accès la cours d’honneur-ferme. De là on découvre la maison toute en longueur et en transparence qui laisse déjà deviner la ville au lointain. Tout un travail théâtral de mise en scène !

Encore, son unité : au 1er coup d’œil, tout semble symétrique et harmonieux. Un pur style 18ème, pas d’ajouts lourds et maladroits du 19ème. La marquise que ce 19ème avait installé sur le perron, visible sur les photos anciennes, a heureusement disparue. Pourtant si vous regardez de près, vous pourrez distinguer des différences, comme un jeu des 7 erreurs. Peut-être deux périodes d’interventions ? Peut-être deux Lamolère, Bernard et Jean-Baptiste ? Peut-être deux périodes de construction 1730 et 1780 ? Que des « peut-être » car les architectes ont bien triché, et ils l’ont fait anonymement.

Et enfin , surtout : Cet art de l’illusion ; toute la maison est « truquée » : Habilement, elle sait se faire modeste : Pas d’étage, un vocabulaire décoratif simple fait de  corniches et de pilastres moulurés qui donnent un rythme et une animation à la façade, des pavillons aux extrémités très légèrement en saillies, 50 cm à peine, un fronton décoré, presque abstrait mais qui ne se prend pas au sérieux : un visage moitié homme moitié grenouille  là où d’autres auraient fait figurer leurs armes, enfin les proportions entre les ouvertures et la façade : grandes fenêtres, grands carreaux qui comparés à la taille de la façade, vous donnent l’illusion d’une « simple maison ». Sybirol sait faire oublier sa taille.

Officiellement, de toute sa façade elle dit haut et fort : « Je ne suis pas un château »
En off, elle murmure doucement à votre oreille : « Regardez comme je suis noble et digne »
Exactement ce que souhaitaient dire ces bourgeois quand ils allaient « Dans ma campagne à Bordeaux ».  Sybirol est un modèle du genre !